Tanaron, le blog

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Et deux glaçons !

Il est trois heures du matin, je n’arrive pas à dormir. J’entends le bruit de la mer, des vagues qui s’écrasent contre la falaise en soupirant, en rongeant de leurs larmes les pierres insensibles. C’est à la fois beau, intensément mélancolique et un peu fatiguant. Et puis je me rassois sur le bord du lit. Quelque chose décidément me tracasse ; qu’est-ce que ce ressac vient foutre à Courbevoie ?

’fin c’est vrai tout de même, on n’a pas mangé de fondue au chester au dîner, et, à moins que le réchauffement climatique ne se soit accéléré dans la nuit, la mer n’a aucune raison de venir perturber ma fin de veillée au seizième étage de la Tour 2.

N’écoutant que mon courage[1], je sors précautionneusement de la chambre pour m’approcher subrepticement de la baie vitrée du salon. Le bruit, bien sûr, a totalement disparu. Pas plus de houle au dehors que d’iceberg sur ma paume. Juste l’océan scintillant des lumières de la ville.

À propos d’iceberg, tiens, l’occasion est trop belle de me servir un petit whisky. Avec deux glaçons. Au moins, je ne me serai pas levé pour rien. Je sirote, longuement, la tension accumulée au long d’une authentique soirée de merde se dilue lentement dans les vapeurs de ce vieux blend – un ami sûr. Décidément, je ne suis pas « taillé » pour les pince-fesses ; j’aurais peut-être dû choisir un autre métier. Critique de cinéma, en fait, je voyais ça plus solitaire, quand même. Quel besoin de s’empiffrer de petits-fours quand il me suffirait, ô combien, d’être seul face à la toile ? C’est entre les images et moi que ça se passe, que ça devrait se passer ; trop souvent, s’interpose l’attachée de presse, dont le seul but est de m’asséner ce qu’il faut penser de ce que je vais voir ou, pire, le réalisateur qui, lui[2], a un message à délivrer au monde. Puisse-t-il s’étouffer avec son message, sa symbolique de carte postale et ses références : « En fait, quand elle lève la main, dans la séquence du métronome, c’est une citation de Playtime, t’vois… J’ai voulu que ça reste discret, mais en fait, j’ai peut-être fait ce film juste pour faire exister cette citation. Parce que Tati, quand même, on dira ce qu’on voudra… c’est un sommet, quoi. Faire un film après lui, quelque part, c’est d’une prétention insensée , non ?… » En tout cas parier que ce type de verbiage peut intéresser quelqu’un, et moi en particulier, c’est à n’en pas douter faire preuve d’un optimisme démesuré.

Le pire c’est qu’il est BON, ton film, pauv’ nouille ; il serait juste un peu meilleur si tu cessais de l’assaisonner au commentaire fadasse !

Houlà ! on dirait que je me suis laissé aller à penser à voix haute, là. J’entends ma voix résonner et le bourdon de Cunégonde, dans la chambre, s’est arrêté. Ouf, elle ne s’est pas réveillée et relance la fanfare au bout de quelques secondes. Quelques secondes qui ont suffi. La vague est revenue. En fait elle n’est probablement jamais partie ; elle était simplement masquée par le soufflet de forge de ma femme. Quelque part dans ma maison, c’est désormais sûr, il y a un rivage. Je dois mettre la main dessus.

Je secoue les vapeurs d’alcool et tente, la main sur l’oreille, d’isoler le son… C’est là. Forcément. J’ouvre la porte palière et le bruit devient plus net. C’est au-dessus que ça se passe. Pariant sur mon impunité à sortir en caleçon à trois heures trente sept, je me lance dans l’escalier et découvre… un pick-up[3] ! Je crois que je n’ai pas vu ce type d’engin depuis une bonne vingtaine d’années, mais c’est un authentique pick-up, sorti tout droit d’une boum des années soixante. Et bien sûr, dessus, LE disque où chante la baleine à bosse. Celui que j’ai toujours connu. Écouté surécouté jusqu’à l’os chez mes parents. Enfin le même mais un autre, hein ; celui de la maison, mon cousin Pétronille l’a cassé en deux, un jour. Le disque, bien sûr, est terminé, mais la tête du tourne-disque saute et rejoue inlassablement ces deux dernières secondes, où l’on entend juste les vagues ; depuis combien de temps, la même vague se brise-t-elle inlassablement contre l’étiquette en papier du disque noir ?

Et maintenant, je fais quoi ? Je suis le fil électrique de l’appareil, qui m’amènera chez la voisine du dessus – qui serait fondée à être surprise de trouver un peu avant quatre heures du matin son voisin en tenue légère sur son paillasson ? Je cède à la tentation de remettre le disque au début pour entendre cette madeleine sonore, assis sur une marche et alors que la minuterie vient de me laisser dans le noir ? Ou je vais sagement retrouver la douce moissonneuse-batteuse qui m’attend dans mon lit ?

Non, franchement, je me tâte…


Troisième participation au sablier de printemps de Kozlika avec une amorce proposée ce soir par la sémillante Otir. La suite – ou tout autre chose – demain \o/

Pour les curieux : l’insomnie maritime a d’abord appartenu à Zoridae, qui avait appelé ça Au bord de la mer. Et désormais, il y a une suite \o/

Notes

[1] ce qui me change de n’écouter que Cunégonde qui pour l’heure ronfle comme une bienheureuse

[2] ou elle, hein, ce n’est pas du sexisme, c’est juste qu’en français le neutre est masculin…

[3] un électrophone, j’entends, pour les moins de vingt ans

Commentaires

1. Le jeudi 27 mars 2008, 02:23 par brol

Moi, je dis que tu es prêt pour le concours agricole, ou pas © ;-p

2. Le jeudi 27 mars 2008, 09:55 par Lomalarch

Gricole organise un concours et on m’a rien dit ? ^^

Ceci étant, je ne suis pas certain de bien déceler les racines terriennes de ce texte… ?

3. Le jeudi 27 mars 2008, 23:42 par Franck

J'aime bien ton univers, continue !

4. Le vendredi 28 mars 2008, 09:58 par Lomalarch

Franck > j’en ai autant à ton service ;-)