Il ne vous a pas échappé qu’il était question de préparer un film – et jusqu’à présent vous n’en avez pas vu l’ombre[1]. Il s’agira, rappelons-le de l’adaptation d’un roman[2].
Et vous vous demandez ardemment quand (et comment) le cinéma va apparaître dans le machin. Ma modestie dût-elle en souffrir[3], j’ai une grosse responsabilité dans cette « dimension » de l’été. Au départ, nous étions trois dans l’équipe à avoir quelque chose à voir avec le spectacle. Elinor, qui vient d’obtenir brillamment son bac littéraire avec option cinéma, Sylvie, qui a fait du théâtre et moi, comédien, auteur, licencié ès cinéma et audiovisuel et responsable d’ateliers théâtre depuis plus de dix ans.
Elinor devait travailler sur le manuscrit en vue de préparer le scénario, Sylvie travailler avec les futurs acteurs sur les dialogues d’Elinor… mais le flou sur la portée exacte dudit scénar’ a suffisamment retardé l’écriture pour que les ateliers de Sylvie ne puissent finalement pas avoir lieu. Du coup, et je renfonce le clou, ce sont mes ateliers d’initiation qui nous ont le plus rapproché de la dimension cinématographique.
Le lendemain de l’ouverture du chantier, nous étions au village le matin pour travailler, et l’après-midi, Amar est descendu en ville avec les jeunes. C’est donc le matin suivant que nous avons démarré
Le premier atelier théâtre[4]
Comme je suis habitué à travailler en salle[5], nous nous installons pour la séance dans la « place du feu ». Devant vos yeux ébaubis, je m’en vais reconstituer cette séance, dont me restent les notes de préparation, soit le déroulement initialement prévu…
1°) Regardez-moi là, et dites moi, comme ça pour voir, ce que VOUS entendez par « jouer la comédie »
Question habituelle de première séance d’atelier (avec des variantes selon les contextes)… Habituellement, les participants aux ateliers, qui ont choisi de faire du théâtre se retrouvent un peu gênés aux entournures, mais des gens qui ne conçoivent pas clairement comédien comme un métier s’y trouvent facilement pris au piège et ont tendance à se raccrocher à ce qu’a dit le voisin. L’utilité, pour moi, c’est de me faire une idée du point de départ d’un atelier : j’en déduis (en partie) les attentes et présupposés des participants, et ça influence l’orientation que je peux donner à la suite des ateliers. Ça me permet aussi, ce jour-là, de faire mon pédant avec une définition un peu sophistiquée et de préciser deux-trois points importants quant au fonctionnement de mes ateliers : d’abord, il va falloir qu’ils s’habituent au fait que je suis bavard, et que j’aime à être précis quand je parle, ce qui peut m’amener à utiliser des mots qu’on-se-demande-bien-d’où-ils-sortent[6] – auquel cas il ne faut d’ailleurs pas hésiter à m’interrompre et à me faire expliquer en français.
On peut ensuite passer aux « exercices » à proprement parler.
2°) Les marches
Ou de l’atelier théâtre comme substitut de randonnée.
a) Marche bonjour
On marche, on accélère plusieurs fois, et quand tout le monde est à bonne vitesse, on stoppe d’un coup et on se tourne vers la personne la plus proche de soi pour lui dire : « Bonjour », avec une inflexion différente à chaque arrêt. On passe donc cette fois par : normal, endormi, hautain, obséquieux, timide, menaçant, grave et, à garder pour la fin, hilare.
Le plus difficile sur ce type d’exercice est d’obtenir que les jeunes gardent leur sérieux. Ça permet bien sûr, à la première séance de se faire une première idée sur le « l’instinct d’acteur » des participants – ou leur pratique antérieure.
b) Marche aveugle
Exercice de confiance. J’ai prévu d’avoir dans chaque atelier au moins un exercice de ce type[7]. Nous ne nous connaissons pas, nous appartenons à des univers différents, mais nous sommes embarqués dans un projet commun, dans lequel il est indispensable que nous puissions nous reposer les uns sur les autres.
Comme le titre l’indique on est deux par deux, dont un qui doit garder les yeux fermés et marcher. Celui qui l’accompagne n’a pour contact qu’une main sur l’épaule et pour consigne de se contenter de veiller à ce que rien n’arrive à l’aveugle. Il peut l’orienter vers des objets ou endroits qu’il pense intéressants. Le tout doit se faire dans le silence le plus complet[8]. L’idée est aussi d’avoir une autre perception de l’espace, sans la vue.
Là où on rentre dans la confiance vraiment aveugle c’est quand on arrête tout le monde, que les aveugles gardent les yeux fermés et que les guides changent d’aveugle. Si la règle du silence est respectée – et si le groupe est suffisamment nombreux – on ne sait plus qui nous guide. Il faut reconnaître qu’avec le petit groupe que nous avions[9], il était très probable que les guides soient reconnus… Là encore, difficile de faire observer la règle du silence : des rires nerveux s’échappent, mais ça se passe quand même assez bien.
3°) Voix / diction
De la bonne grosse technique moulée à la louche. On se met en cercle et on apprend à respirer et à parler, après avoir appris à marcher. Finalement, apprendre à jouer c’est tout réapprendre :-D !
a) Respiration
Respiration abdominale en quatre temps : inspiration – blocage – expiration bruyante – blocage. On en fait une petite série, à l’unisson. Ça demande un peu de concentration (ne pas éclater de rire au milieu) mais rien de remarquable à part ça.
b) Voix
Là encore tous ensemble : on inspire, on ouvre la bouche et on dit AAAAAaaaa le plus fort et le plus longtemps possible. Pas plus remarquable que le précédent, ça permet une petite explication de la voix comme instrument à vent.
C’est bien de faire ça tous ensemble au début, mais c’est le genre de trucs sur lesquels il faut revenir de façon individuelle dans les séances à venir.
c) Diction : Mon ptérodactyle est mort d’un infarctus
Plus rigolo et cette fois de façon individuelle, prononcer la phrase susdite haut et fort, en surarticulant (autant dire en grimaçant sans avoir peur du ridicule). Vous remarquerez au passage l’élégant raclage de gorge façon pré-mollard nécessaire pour le « arct » d’infarctus… Pour l’origine de cette phrase, je vous renvoie ici.
4°) Impro chapeau
On forme deux groupes, chaque groupe tire un papier dans mon chapeau… Sur le papier un mot bizarre et probablement inventé par mes soins. Seront tirés « Hélipinge » et « Crantebrouque ». Ils ont dix minutes pour décider d’une définition du mot et l’illustrer par une petite histoire qu’ils nous présenteront ensuite.
a) Crantebrouque
Pour l’équipe Aline, Fouzi, Sylvie, Elinor, un Crantebrouque est un gâteau d’anniversaire. Fouzi ne peut s’empêcher de commenter ce qui se passe par des petits sourires aux copains. Leur intrigue est un peu compliquée, et certains détails de leur histoire nous échappent. C’est l’anniversaire de Fouzi. Sylvie a préparé le gâteau. Il s’agit d’une part de crantebrouque, donc, que Sylvie, par jalousie, a empoisonnée à l’intention d’Aline. Mais celle-ci n’aime pas le crantebrouque, et Elinor prend sa part et finit par se tordre de douleur au sol, Sylvie appelant une ambulance. La partie poison n’était pas du tout clair, même si Sylvie insistait pour qu’Aline prenne la part qu’elle lui avait destinée, on en déduisait qu’elle était maniaque. Il nous manquait un aparte pour comprendre ce qui se passait réellement.
b) Hélipinge
L’équipe Yasin, Murat, Amar, Boris, Cliff a fait de l’hélipinge une voiture. Yasin interprète un client mécontent de son hélipinge achetée peu de temps auparavant, et déjà en réparation. Murat tente de s’en débarasser, quand Boris vient en tant que client et que Yasin commence à le décourager d’acheter ici. On fait venir le mécano, Amar, qui décrit la panne et on finit par lui proposer de lui prêter un autre véhicule – mais il exige d’en avoir un de même gamme que son hélipinge inutilisable[10]. Il n’y a ici aucune « scène manquante » comme dans l’impro précédente, mais c’est un peu redondant au bout d’un moment et ça peine à finir. Mais Yasin, qui depuis le début de son séjour râle à qui mieux mieux et à propos d’à peu près tout, se révèle extrèmement convainquant dans un rôle de râleur où il semble beaucoup s’amuser – apparaît alors évidente une capacité à l’autodérision que je ne lui aurais pas soupçonnée.
Et c’est la fin de la première séance. Pour la prochaine fois, sur un cahier propre, dix lignes de bling, dix lignes de blang[11]
C’est aussi la dernière fois que j’anime une séance dans la salle du feu : la poussière soulevée est pénibles, il est difficile de faire des exercices au sol et le cadre n’est pas agréable pour ce type de choses. Je trouverai ensuite un bosquet de chênes en terrasses où nous ferons les séances suivantes – sauf une que nous devrons terminer à l’intérieur de la salle pour cause de pluie.
C’est à la fin d’un billet comme ça qu’on se demande si, vraiment, « plus c’est long, plus c’est bon »
.
Comme ça vous avez une idée du déroulement d’un atelier animé par mes soins, et je pourrais parler (de façon moins détaillée, promis) de ce que nous y avons fait d’intéressant.