Alors que B. est blonde comme les blés tandis que le père G. a les cheveux poivre et sel depuis des temps immémoriaux. Déjà à la fac, il commençait à pâlir du chef.
Bien sûr, moi, je préférais la jouer discrète ; je n’étais en aucun cas venu pour provoquer un psychodrame ou jouer les conseillers matrimoniaux. Mais je ne parvenais pas pas à m’empêcher de me perdre en conjectures. Qui laisse des poils roux dans cette maison ou même le chat ne saurait être soupçonné. Un chartreux, pensez !
Et puis il y a eu la brosse. Moi, hein quand je suis invité, j’ai pour habitude de toujours remiser l’objet au fond de ma trousse de toilette dès son office accompli. Je crains toujours d’envahir l’espace intime des amis qui m’accueillent. Et là, je vais pour me coucher – après une somptueuse fondue au roquefort – et je tombe dessus.
Ma brosse.
Paisiblement rangée dans le verre familial.
Très embêté je fouille par réflexe dans la trousse de toilettes où je trouve…
Ma brosse.
Dans son étui. Sa place honnête de brosse à dents rangée.
Ma brosse plus ma brosse là où elle n’était pas hier, ça devient très troublant. J’en hésite à me brosser les dents. J’ai peur de les mélanger, de ranger la mauvaise dans un moment de distraction. Et si le propriétaire légitime, quel qu’il soit, de la brosse surnuméraire, avait déjà fait la confusion ? Et si, en fait, ma brosse avait été clonée dans cette baignoire infernale lors d’une opération mystérieuse ne laissant comme trace que des poils roux ?
Et si ce moment de pure Quatrième Dimension qui se refermait sur moi n’était que le fruit de mon imagination ?
Une seule chose demeurait sûre : il était hors de question que je me lave les dents avec une brosse qui, pour ce que j’en savais, avait aussi bien pu servir à récurer les toilettes la veille.
Et c’est comme ça que ça s’est passée. Je ne me suis pas lavé les dents ce soir-là et, trahi par mon haleine roquefortée au petit déjeûner, je me suis vu contraint de tenter de m’expliquer.
Ils m’ont regardé. Sans un mot ils m’ont pris chacun par un bras et m’ont fait descendre à la cave où ils m’ont attaché à une conduite d’eau, à côté d’un grand rouquin efflanqué, aux poils longs et aux yeux tristes et aux dents étincelantes. Dès qu’ils sont sortis il m’a fait un clin d’œil et sorti d’une de ses poches mitées une brosse à dents.
Ma brosse.
Encore.
C’est à partir de ce moment, Docteur, que les choses deviennent plus floues. Vous êtes sûr que j’ai menacé d’égorger tout le monde avec une brosse à dents en prenant un épagneul en otage ?
Je m’en souviendrais, tout de même. Y a pas marqué Alzheimer, là…
C’était ma participation (un peu en retard, j’ai eu du mal à m’y mettre) au second sablier du printemps de Mlles Kozlika et Elisabeth. Tiendrai-je la semaine ?
PS l’amorce vient de là : Toothcrush de Matoo.